Dans son livre Cuba, l’odyssée médicale paru aux éditions Owen Publishing, le journaliste guadeloupéen Jean-Jacques Seymour dresse un panorama de la médecine de l’île et de son rayonnement international. Dans une interview à La1ere.fr, il suggère que l’expertise cubaine pourrait bénéficier aux Antilles-Guyane.
Journaliste, essayiste et éditorialiste de radio et de télévision, le Guadeloupéen Jean-Jacques Seymour est bien connu des auditeurs et téléspectateurs de l’Hexagone et des Antilles-Guyane. Passionné par les évolutions socio-politiques et économiques de la Caraïbe, région à laquelle il a consacré plusieurs ouvrages, sa dernière publication se penche sur la médecine cubaine. Son constat, « l’île de Cuba fait figure d’exception médicale », écrit-il. Sous blocus durant des décennies, coupée de tout, encore actuellement sous embargo américain, Cuba a non seulement résisté mais a également développé un système de santé des plus performants sur le plan international.
L’île est le pays du monde qui compte le nombre de médecins le plus élevé par habitant. Grâce à sa politique de prévention, son taux de mortalité infantile (4,9 pour 1000) est le plus bas des Amériques, inférieur à ceux des Etats-Unis et du Canada. L’espérance de vie de la population est similaire à celle des pays les plus développés. Sa médecine de catastrophe (ouragans, cyclones) est extrêmement élaborée et fait partie intégrante du cursus médical. Cuba est en pointe dans de nombreuses spécialités comme les traitements antidiabétiques, les recherches en génétique et en biotechnologie, l’addictologie, la recherche contre le cancer, les thérapies alternatives (herboristerie, acupuncture, hypnose…), et le traitement contre le vitiligo, entre autres. Enfin, l’île forme des médecins du monde entier et a tissé un formidable tissu de solidarité internationale, avec plus de 30.000 médecins cubains exerçant de nos jours dans près de 70 pays à faibles revenus.
Selon vous qu’est-ce qui fait la particularité de la médecine cubaine ?
Jean-Jacques Seymour : Elle a pour elle une reconnaissance mondiale. Le verdict de l’Organisation mondiale de la santé, qui est une instance indiscutable, est clair, quand elle déclare que Cuba est le seul pays qui dispose d’un système de santé étroitement lié à la recherche et au développement en cycle fermé. C’est la voie à suivre, car la santé humaine ne peut s’améliorer que grâce à l’innovation.
L'investissement massif de l'Etat, l'universalisation de l’accès aux études supérieures et l'instauration de la gratuité dans tous les cursus, c’est la recette de ce miracle qui consiste à investir en priorité les ressources disponibles là où leur influence sur la santé de la population est la plus grande. C’est aussi un pays avec des médecins bien formés et extrêmement pointus dans leur domaine : diabète, ophtalmologie, cancérologie, maladie d'Alzheimer, VIH etc. L’organisation du système de santé cubain s’aligne directement sur les préconisations de l’OMS : une approche globale de la santé centrée sur la famille et la communauté plutôt que sur l’individu, qui prend en compte aussi bien les déterminants sociaux qu’environnementaux ; une médecine de proximité avec le déploiement sur le terrain de professionnels de santé accessibles ; une importance accordée à la prévention et au développement d’une approche populaire. Enfin la santé n’est pas perçue comme un ensemble de maladies que l’individu peut développer et qu’on doit traiter bon an, mal an, mais comme un élément premier de la vie même et, à ce titre, une priorité publique et sociale.
Qu’est-ce que les Antilles françaises peuvent apprendre de la médecine cubaine, au niveau des traitements, de l’organisation, de la méthodologie par exemple… ?
Il faut d'abord rappeler que "le numerus clausus" qui pilote notre système de santé, même réformé aujourd'hui, est étriqué et a été maintenu à des niveaux ridicules pendant des décennies, ce qui a écarté des jeunes motivés et capables… Comme cela a été le cas ailleurs, en Haïti, en Afrique ou en Amérique latine le modèle cubain permet d’offrir des soins mieux adaptés au terrain et aux besoins. Et de bénéficier d'une expertise médico-sanitaire exemplaire. Sans oublier la ligne directrice où s'entremêlent la conscience, l’éthique, la solidarité, sentiments vraiment humains, l’esprit de sacrifice, l’héroïsme et la capacité de faire beaucoup avec très peu.
On évoque la possible venue de docteurs cubains aux Antilles-Guyane pour pallier aux déserts médicaux. Serait-ce une fausse bonne idée ? Ne vaudrait-il pas mieux développer de façon soutenue la formation de médecins antillais et guyanais ?
Une fausse bonne idée avez-vous dit ? Au contraire, c'est très bien car il est fini le temps où chaque commune avait son médecin. Avec l’urbanisation massive du territoire et la concentration de la population dans les villes, le nombre de médecins généralistes, et à plus forte raison de spécialistes, n’a cessé de décroître en zone rurale. Cette concentration renforce l’inégalité d’accès aux soins entre la ville et la ruralité, où les délais et les distances s’allongent. À ce phénomène s’ajoute une particularité française, liée aux difficiles conditions de sélection des médecins.
Avec le vieillissement de la population et l’amplification des zones urbaines au détriment de la ruralité, résoudre le problème des déserts médicaux nécessite la prise de mesures structurelles. L’incitation et l’innovation législative sont entre les mains du gouvernement. De leur côté, les acteurs privés peuvent apporter leur pierre à l’édifice, en mettant les dernières avancées technologiques au service des patients et de la santé publique. Quant à la formation des médecins antillais et guyanais, elle existe mais elle ne peut que se bonifier au contact des confrères cubains porteurs d'une expérience exceptionnelle, notamment en matière de médecine globale. N’oublions pas que Cuba n’est pas que « prescripteur ». Cuba est aussi « chercheur » et « formateur ». Dans cette zone géographique, ce pays peut faire beaucoup pour nous aider à combler ce besoin social.
"Cuba, l’odyssée médicale", par Jean-Jacques Seymour – Owen Publishing, 175 pages, 19 euros. (Préface du docteur Marie-Antoinette Séjean).
Philippe Triay
Le 3 septembre 2019
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